Indice de réparabilité, fonds réparation, droit à la réparation, délit d’obsolescence programmée… La réparation fait aujourd’hui l’objet d’un vaste panel d’initiatives, à différents échelons territoriaux. On y voit plus clair avec Samuel Sauvage, Directeur de projets Economie circulaire et Numérique responsable au sein d’Auxilia, et co-fondateur de l’association HOP – Halte à l’Obsolescence Programmée.
la réparation fait en ce moment l’objetd’un regain d’intérêt, notamment pour le législateur aux niveaux français et européen. peux-tu nous en dire un peu plus ?
La réparation connaît en effet un contexte législatif très dynamique. Au niveau français, on peut noter deux avancées récentes majeures, prévues par la loi AGEC votée en 2020. D’une part, elle favorise la consommation de produits plus réparables, en introduisant un « indice de réparabilité » sur certaines catégories de produits – une dizaine à l’heure actuelle –, qui permet de savoir si un produit est plus ou moins réparable. D’autre part, cette loi instaure depuis le 15 décembre dernier un « fonds réparation », proposition formulée par l’association HOP, qui consiste en une idée simple : il faut soutenir par le prix les réparations parce que le ratio entre la réparation et l’achat d’un bien neuf est souvent trop favorable à ce dernier. L’idée de ce fonds, qui passe par les éco-organismes [organismes, structurés par filières, en charge de gérer la fin de vie des produits, par exemple Ecologic ou Ecosystem, ndlr], c’est de soutenir le particulier en subventionnant les opérations de réparation, sous la forme d’un forfait variable représentant autour de 20 % du prix d’un devis de réparation pour alléger la facture. C’est la filière des équipements électriques et électroménagers qui a ouvert le bal. Depuis décembre 2022, 21 000 réparations ont été effectuées avec ce fonds et plus de 500 000 € ont été versés sous la forme d’aides aux réparateurs.
Ces deux avancées législatives ont un impact concret dans nos vies mais tardent toutefois à monter en puissance : à l’échelle de la France, le fonds avait plutôt prévu de verser 22 millions € sur l’année. Il y a un vrai enjeu de faire connaître ce fonds pour que les particuliers le demandent à leurs réparateurs et que ces derniers se fassent agréer (il y a une petite démarche à faire), pour que ça rentre dans les habitudes. HOP a à cet égard engagé une demande aussi auprès de l’État pour simplifier et renforcer le dispositif (à lire ici). Enfin, au niveau des collectivités territoriales – et Auxilia œuvre dans ce sens –, il reste à comprendre comment soutenir la réparation. Certaines initiatives, comme la mise en place d’incitations financières qui permettraient de compléter ce que fait l’État pour construire des territoires de réparation, commencent à émerger.
et au niveau européen ?
La Commission européenne porte actuellement un projet de directive sur un véritable « droit à la réparation ». Il se trouve que je travaille là-dessus en tant qu’expert auprès du Comité économique et social européen, en charge de formuler des recommandations. La Commission réfléchit notamment à la mise en œuvre technique de ce droit, afin de s’assurer la disponibilité de pièces détachées, l’accès à l’information le plus en amont possible des achats, la possibilité de faire réparer au-delà du délai de garantie du produit, etc. Là où le bât blesse pour le moment au niveau européen, c’est que le coût de la réparation n’est pas pris en charge. Or, un droit à la réparation n’est pas seulement théorique, il faut le rendre accessible en pratique, et cela exige des incitations, une intervention étatique ou européenne pour abaisser le coût des réparations ou augmenter celui des produits neufs (mais ça, c’est sans doute plus difficile à mettre en place). Enfin, pour que ce droit soit effectif, il faut que l’on puisse faire réparer son produit n’importe où, pas seulement auprès d’un réparateur agréé dans certains circuits. A ce titre, la question des réparateurs indépendants est importante pour leur donner les mêmes chances de pouvoir réparer les produits même sans être agréés par telle ou telle marque.
pourquoi ces avancées législativessont-elles si importantes selon toi ?
C’est tout simplement une vraie priorité environnementale. L’essentiel de l’impact d’un produit incombe à sa fabrication. Réparer davantage les produits et allonger leur durée de vie, c’est produire et consommer moins de produits et donc faire diminuer l’impact environnemental de chaque produit. Par ailleurs, au niveau social et économique, plusieurs études de l’Ademe montrent qu’il y a des vrais gains de pouvoir d’achat derrière la réparation, des emplois à créer (404 emplois créés pour 10 000 tonnes de gisements traités, contre 3 emplois pour l’incinération, selon une étude de l’ONG Gaia réalisées auprès de 16 pays), des formations à lancer sur toute une série de métiers : couture, électroménager, électronique, etc. Une vraie politique territoriale s’ouvre en réalité derrière cette réparation.
lEs mesures que tu évoquessemblent principalement se concentrer sur la consommation. n’y aurait-il pas aussi des mesures à prendre en ce qui concerne la production même des objets ?
Evidemment, tout ça n’a pas de sens si les produits continuent à être conçus pour ne pas être réparés. En France, on a la chance d’avoir un délit d’obsolescence programmée qui inclut désormais les obstacles à la réparation. C’est ce qui a permis à l’association HOP de porter plainte en décembre 2022 contre Apple pour ce genre de pratiques à propos des iPhones. Au niveau européen, l’un des enjeux derrière ce projet de directive, c’est effectivement comprendre si et comment l’Europe peut interdire des obstacles à la réparation comme pratique volontaire. Il se joue en ce moment un débat politique. Le Parlement européen s’oriente plutôt vers une prise de position en faveur d’une interdiction de cette pratique au niveau européen. S’ensuivra un long parcours législatif, dont on ne connaît pas encore l’aboutissement mais qui peut réserver des surprises… Ce qui est sûr c’est qu’il faut prendre le problème par différents bouts et notamment contraindre les fabricants.
au-delà des questions techniques,il me semble aussi y avoir une bataille culturelle à mener, parce que les vêtements rapiécés ou les ordinateurs vieillots continuent d’être stigmatisés…
Il y a en effet un combat derrière ce qu’on appelle l’obsolescence psychologique ou culturelle, qui, telle que formulée par le designer Brooks Stevens, consiste à « instiller dans l’esprit du consommateur l’envie de posséder quelque chose d’un peu plus neuf, d’un peu mieux et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire ». L’économie de la réparation passe par une lutte contre la facilité du neuf, pour le réenchantement du réparé, du reconditionné, du raccommodé… qui peut d’ailleurs être plus personnalisé et plus intéressant !
Toutefois, ce culte du neuf repose sur des phénomènes de mode qui ne sont pas neutres financièrement. Le poids de l’industrie publicitaire est tel que les messages contradictoires auxquels on fait face en tant que consommateurs sont énormes. On voit environ 400 messages publicitaires par jour en moyenne en France, ce qui participe à modeler notre cerveau, nos habitudes et nos réflexes, alors que les quelques campagnes en faveur des produits d’occasion sont toujours beaucoup plus faibles.
QUE PEUVENT FAIRE PRécisémentles collectivités pour « réenchanter la réparation » ?
Elles ont un rôle à jouer à plusieurs niveaux. Elles ont d’abord un rôle de sensibilisation des particuliers, de valorisation de toutes les initiatives qui existent déjà ou qui sont à lancer. Les consommateurs et les consommatrices manquent souvent d’information et ne sont pas au courant de l’existence d’un repair-café ou d’une matériauthèque.
Selon moi, les collectivités doivent aussi soutenir les acteurs de la réparation. Toulouse Métropole a par exemple mis en place une « prime réparation », qui relève d’un mécanisme similaire à ce que j’évoquais au niveau national. Elles peuvent essayer de favoriser l’installation et la formation de réparateurs. Auxilia travaille avec l’agglomération d’Epernay sur un schéma du réemploi et de la réparation, afin de mettre en œuvre une série d’actions comme la mise en place d’une bricothèque pour faciliter l’accès à des outils gratuits (ou à faible coût) et mutualisés. Cela permet aussi de créer du lien, de retrouver des savoir-faire perdus tout en réduisant les quantités de déchets qui restent un problème structurant des politiques publiques.
tu évoques ici les enjeux,non seulement de la réparation, mais aussi d’auto et de co-réparation. La lutte pour une culture de la réparation passe aussi par une réappropriation populaire des savoirs et du savoir-faire technique selon toi ?
Propos recueillis par Bastien Marchand, consultant – Doctorant en redirection écologique.
Newsletter conçue par Margot Rat-Patron, consultante et toute l’équipe.
Retrouvez toute la newsletter complète en suivant ce lien.