En finir avec les ZAE périphériques
Nous observons depuis nombre d’années une inexorable dynamique de concentration des emplois. Tout d’abord vers les métropoles, tendance qui devrait se poursuivre dans les prochaines années puisque, selon France Stratégie , les prévisions d’embauche concernent majoritairement des emplois qui se concentrent au sein de ces grandes aires urbaines. Vers les territoires industriels à forte valeur ajoutée ensuite ou à forte attractivité résidentielle. Parallèlement, de nombreuses petites et moyennes villes déclinent un peu partout en France. Leurs centres-villes se dévitalisent à mesure que l’extension continue de zones d’activités économiques (ZAE) et commerciales se poursuit en leur périphérie. Il s’agit aujourd’hui d’un véritable enjeu national, qui fait débat et dont l’Etat vient de se saisir comme en témoigne la récente annonce du programme « Action cœur de ville » par le ministère de la Cohésion des Territoires.
Contribuant à l’accélération de l’artificialisation des sols, le rythme d’extension des ZAE dépasse le plus souvent celui de la création d’emplois, soulignant les limites d’une politique d’aménagement extensive. Il est temps d’adopter une vision différente : après 50 ans de développement extensif des territoires, l’heure est au renouveau en faveur, cette fois-ci, d’un développement économique intensif.
Les limites d’une politique d’aménagement extensive
A poursuivre de mauvais indicateurs, on mène des stratégies inefficaces ! Nous faisons ici une proposition allant dans ce sens, à savoir la (ré)activation des ressources « dormantes » du territoire par la mise en mouvement et en réseau des entreprises, notamment celles localisées dans les ZAE.
En près de 50 ans, les ZAE sont devenues les principaux poumons économiques des territoires grâce à une diversification vers l’accueil d’activités de services. Hélas, leur développement s’est fait au détriment des villes centres. Il faut donc s’adresser aux entreprises qui les occupent, aller les chercher là où elles se trouvent – retranchées en périphérie des villes – et les reconnecter aux centres-villes pour faire émerger de nouvelles dynamiques vertueuses sur les territoires.
ZAE contre centre-villes
Ce constat doit interroger les collectivités au moment de décider d’aménager ou non de nouvelles zones pour proposer aux entreprises des ZAE « nouvelle génération ». En effet, au-delà des coûts qu’ils font peser sur les finances publiques locales ces nouveaux développements se font au détriment des ZAE préexistantes, souvent laissées en déshérence et menacées par l’obsolescence de leurs infrastructures et l’inadéquation de leurs services.
Sur ces territoires, les stratégies de relance de l’activité économique par la recherche d’une attractivité exogène se heurtent de manière générale à une absence d’avantages comparatifs. En cause, notamment, la distance vis-à-vis des grands pôles urbains qui concentrent les investisseurs, leur manque d’accessibilité, l’absence de profondeur du marché du travail…. Au-delà du poids des facteurs d’échec, la conception même des ZAE en circuit fermé et déconnecté des centres-villes est à mettre en lien avec les phénomènes suivants :
- des centres-villes économiquement affaiblis : l’augmentation des déplacements domicile-travail entraînant des difficultés d’accès pour de nombreux salariés, notamment les moins qualifiés…
- l’accroissement de la consommation de foncier agricole, qui défigure et uniformise les entrées de villes et villages partout en France,
- et enfin à la difficile mobilisation des entreprises sur les questions qui concernent le devenir de leur territoire d’implantation.
ZAE et tiers-lieux, la solution pour revitaliser les centres-villes ?
Malgré leur importance, les ZAE semblent être les grandes oubliées des stratégies de développement économique des collectivités territoriales. Celles-ci n’interviennent d’ordinaire qu’en tant qu’aménageur et commercialisateur de foncier. Et beaucoup plus rarement comme gestionnaire ou opérateur de services (moins de 10 % des ZAE en Ile-de-France sont véritablement gérées).
Il est donc urgent que les collectivités repensent l’attractivité des ZAE au-delà de la simple concurrence sur les prix du foncier : leur articulation au territoire (et notamment leur lien avec les centres-villes riches en aménités), leur accessibilité et surtout leur animation. Plutôt que de multiplier les modèles actuels de ZAE, l’objectif doit être de stimuler l’émergence de nouveaux « circuits courts », fondés sur un ancrage local et une réciprocité économique incluant tous les acteurs du territoire.
Pour ce faire, pourquoi ne pas développer pour les ZAE des espaces hybrides offrant des services et des solutions mutualisées aux salariés et aux entreprises ?
Ils en feraient de véritables leviers d’un développement économique endogène, résilient et inclusif, au bénéfice de :
- la vitalité commerciale du centre-ville, en favorisant la vente au sein de conciergeries ou de points relais des produits des commerçants locaux indépendants ;
- la filière agricole locale, en proposant des restaurants inter-entreprises avec approvisionnement en circuit de proximité issu de la production responsable ;
- le lien social en créant des jardins partagés, des activités sportives ou culturelles ;
- la croissance de l’entreprise, par le développement d’offres de locaux flexibles et par l’accueil de services d’accompagnement ;
- la transition écologique (production locale d’énergie, valorisation des déchets, plan de mobilité…) ;
des finances publiques : le développement de tels lieux étant bien moins coûteux que l’aménagement de nouvelles ZAE.
Des tiers-lieux au secours des centres-villes
En parallèle de cette stratégie de valorisation de l’activité économique locale, il s’agit de mettre en réseau les entreprises en ZAE avec les habitants, les associations, les artistes,… en articulant ces espaces avec les « lieux des communs » existants. L’essor de ces tiers-lieux (fablabs, infolabs, coworking, …) est révélateur de plusieurs mouvements émergents. Mais ils souffrent d’une hétérogénéité des formes, d’un manque de structuration et qui sont surtout invisibles vis-à-vis des entreprises présentes sur le territoire.
Grâce à ces lieux, on pourrait notamment imaginer favoriser dans les centres-villes le développement de nouveaux modèles d’organisation et de travail, l’innovation dans les PME, l’émergence de nouveaux modèles en matière d’économie territoriale…
L’enjeu est donc de taille pour ces territoires qui semblent en retard. Toutefois, ils ont plus de cartes à jouer que ce que n’osent imaginer leurs propres habitants et les différents acteurs locaux des centres-villes et des villages . Bien qu’ils soient aujourd’hui éloignés, tout porte à croire qu’ils sauront tisser des proximités et se saisir intelligemment de ces opportunités.