Ce numéro d’Avril de « Réveiller nos futurs », la newsletter d’Auxilia nous expose les incertitudes de la voiture électrique avec une interview de nos experts Jade Charbonnier et Samuel Sauvage réalisée par Marc Fontanès, Directeur général adjoint d’Auxilia et expert en Mobilités.
Jade Charbonnier, doctorante, qui réalise une exploration et une thèse sur les impacts sociaux des ZFE1, et Samuel Sauvage, cofondateur de l’association HOP qui publie un rapport sur l’irréparabilité des voitures électriques, tous deux chez Auxilia répondent à nos questions sur les impasses de la voiture électrique.
COMMENT vous êtes-vous interessés aux enjeux de la mobilité électrique ?
Jade :
C’est le sujet de ma thèse , elle s’intéresse à l’arrivée des ZFE dans les villes françaises.
Au-delà de la conversion du parc automobile vers l’électrique, j’essaie d’analyser comment les collectivités locales se saisissent de cet instrument pour favoriser plus largement les alternatives à la voiture individuelle. En parallèle de ma thèse, je coordonne l’exploration « Familles ZFE » au sein d’Auxilia, un programme d’action-recherche qui suit une cohorte de ménages vulnérables dans leurs adaptations à la ZFE. J’ai aussi contribué à une large enquête sur le non-recours à la prime à la conversion, pour le compte du Ministère de la transition écologique.
Samuel :
Pour ma part, je suis le sujet de moins près que Jade, n’étant pas spécialiste de la mobilité. Cependant, l’association que j’ai co-fondée, HOP (Halte à l’obsolescence programmée), vient de réaliser un gros travail d’enquête sur la durabilité des voitures électriques.
C’était, pendant longtemps, un impensé dans nos réflexions sur l’obsolescence programmée, alors qu’en réalité nous mettons en lumière un gâchis potentiellement considérable. De manière plus générale, en tant que spécialiste de l’économie circulaire, je m’intéresse à l’ensemble des impacts des voitures au cours de leur cycle de vie, ce qui me conduit à être relativement prudent sur la solution que les voitures électriques sont censées apporter à la crise écologique.
vous mentionnez une dérive vers l’automobile « jetable ». Quels enjeux écologiques se cachent derrière l’invocation de LA voiture électrique ?
Samuel :
Dans ce rapport, nous pointons une contradiction majeure : certes, les voitures électriques représentent probablement une partie de la solution pour décarboner la mobilité en France.
Toutefois, on s’aperçoit qu’alors que la voiture thermique était relativement exemplaire en termes d’économie circulaire (réparabilité, seconde main…) et affichait des durées de vie autour de 20 ans, la voiture électrique présente potentiellement une durée de vie de 10 ans seulement, avec de forts obstacles à la réparation, qui inquiètent par exemple les assureurs. On constate notamment que la moitié des voitures mises sur le marché a une batterie irréparable, et que les consommateurs n’ont aucune garantie sur le fait qu’ils pourront remplacer leur batterie dans 10 ans. Comme il faut des années pour concevoir une voiture, le rôle des pouvoirs publics, notamment à l’échelle européenne, sera déterminant pour imposer une meilleure réparabilité (Rapport HOP disponible ici).
Jade :
Il est possible de soulever un autre enjeu écologique : celui de la qualité de l’air. Même si les particules liées au freinage diminuent, les véhicules électriques n’échappent pas à la production de particules hors échappement (PHE), qui sont d’autant plus importantes que le poids des voitures augmente (abrasion des pneus et de la chaussée, remise en suspension des particules) (Ademe, 2022). Plus généralement, c’est l’usage intensif de la voiture dans les déplacements de courte-distance du quotidien qu’il faut repenser. Ainsi, même si les ZFE incitent les ménages à se tourner vers des voitures récentes, et en particulier électriques ou hybrides, certaines agglomérations posent l’enjeu de l’usage de la voiture via des dispositifs petits rouleurs.
En quoi le développement de la voiture électrique est-il une affaire sociale ?
Jade :
Beaucoup de choses pourraient être dites à ce sujet ! Et nous savons que la transition écologique est possible que si elle est juste. Nous en avons d’ailleurs fait un grand format sur notre site (voir ici « Mobilité : vers une compréhension élargie des publics vulnérables »). Sauf dans le cas particulier du leasing social – mais le dispositif du gouvernement est à ce stade largement dépassé par la demande –, l’offre de voitures électriques n’est pas adaptée aux besoins des publics modestes, pour diverses raisons.
D’abord, ces voitures ne sont pas encore disponibles sur le marché de l’occasion, et leur prix (neuf) est souvent rédhibitoire malgré les aides à la conversion existantes. Celles-ci sont peu mobilisées en raison de freins au recours tels que le manque de relais locaux, l’avancement des aides, la fracture numérique, le nombre de critères à remplir pour y avoir accès, etc.
De plus, ce sont des voitures qui s’amortissent à long terme, ce qui ne colle pas avec les contraintes du quotidien des ménages modestes (solvabilité, dépendance à la mobilité/2…). L’un des freins réside aussi dans le sentiment, confirmé par le rapport de HOP, de l’irréparabilité de la voiture électrique, ce qui risque de déposséder ces ménages d’une certaine autonomie. Dernier exemple, les quartiers populaires sont les moins bien dotés en infrastructures de recharge.
Samuel :
Comme souvent dans nos travaux sur l’obsolescence programmée, on constate que les catégories les plus modestes sont les premières victimes de la faible durée de vie des objets, se retrouvant à payer in fine plus cher pour le même service. En effet, même le rapport de HOP pointe également du doigt les faiblesses des voitures de marque Tesla, on constate que la voiture électrique « low cost » tend à être construite en un bloc, d’où son irréparabilité.
J’ajouterais un point au confluent des questions écologiques et sociales : l’approvisionnement en métaux (notamment lithium, nickel, cobalt…) est problématique du point de vue de leur disponibilité dans le temps (il faudrait que la France accapare une part trop importante des réserves mondiales de lithium pour remplir les objectifs d’électrification du parc en France, au détriment des autres pays) et bien sûr des conditions sociales d’extraction de ces ressources.
Samuel :
Non justement, nous montrons que le risque serait d’aboutir à une voiture jetable !
Selon nous, il faut accompagner sinon encadrer cette industrie pour qu’elle puisse pleinement jouer un rôle dans la transition écologique. Il s’agit aussi de systématiser une vision à 360° des impacts, en regardant au-delà du critère carbone, ce qui est loin d’être le cas.
Jade :
Selon moi, c’est plutôt le système voiture qu’il faut remettre en question !
Aujourd’hui, les enjeux industriels de conversion du parc automobile nous empêchent de questionner la dépendance à la mobilité en particulier des plus précaires, et de remettre en cause des modes de vie insoutenables. Or, c’est là que se trouvent les mutations les plus centrales et efficaces.
1 ZFE Zone à Faibles Emissions
2 Caroline Gallez. La mobilité quotidienne en politique. Des manières de voir et d’agir, Dossier d’habilitation à diriger des recherches Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Spécialité aménagement. Science politique. Université Paris-Est, 2015.
3 Ibid
Propos recueillis par Marc Fontanes.
Pour en savoir plus sur Jade Charbonnier et sur Samuel Sauvage
Newsletter conçue par Margot Rat-Patron, consultante et toute l’équipe. Bravo Margot 😉
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