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L'édito février 2025

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Eclairer, partager, décloisonner, surprendre les nouvelles tendances, décrypter les signaux faibles…, autrement dit « Réveiller nos futurs », la proposition de la newsletter d’Auxilia. Prospective et réaliste, nous l’avons imaginée comme une source d’inspiration pour les territoires et les structures que nous accompagnons, quels qu’ils soient.

Avec les fortes chaleurs, une précarité énergétique sans répit possible

Votre auteur et interlocuteurRaphaël JEAN

Raphaël JEAN

Consultant Energie & climat

En février, dans notre newsletter « Réveiller nos futurs », Raphaël décrypte l’émergence de la précarité énergétique d’été et propose des solutions durables.

1 français sur 2 a souffert de la chaleur dans son logement en 2020 d’après l’enquête nationale logement, soit 26 % de plus qu’en 2013 (Fondation pour le Logement des défavorisés – données ENL 2020), les plus précaires étant particulièrement concerné.e.s. En parallèle, un nombre croissant de ménages s’équipe de climatiseurs, au risque d’alourdir leur facture énergétique et en dépit des rejets de gaz à effet de serre et de chaleur en extérieur. Face à ce constat, plusieurs acteurs se sont mobilisés ces dernières années pour alerter les pouvoirs publics sur l’émergence d’une « précarité énergétique d’été ».

Précarité énergétique, que désigne-t-elle habituellement ?

Historiquement rattaché à la difficulté des ménages précaires à subvenir à leurs besoins de chauffage en hiver, le terme de précarité énergétique a fait son apparition dans l’Hexagone à partir du début des années 2000, pour être enfin défini dans la loi Grenelle 2 en 2010. Elle était initialement centrée sur les enjeux énergétiques dans le logement et a par la suite été élargie à la mobilité, pour décrire la précarité engendrée par les dépenses forcées de carburant, associées à la dépendance structurelle d’une large partie du territoire à la voiture. Face à l’accroissement des vagues de chaleur causé par le dérèglement climatique, le besoin de fraîcheur et les dépenses dédiées à la climatisation croissent. Dans nos villes et dans nos logements inadaptés à cette nouvelle contrainte, une nouvelle forme de précarité gagne alors les périodes estivales.

Comment l’idée de la précarité énergétique d’été a-t-elle émergé ?

Dans ses deux rapports sur la question (2023 et rapport 2024 mentionné ci-dessus), la Fondation pour le Logement des Défavorisés (ex « Fondation Abbé Pierre ») a mis en lumière la surexposition croissante des plus précaires aux excès de chaleur. Elle dénonce les “bouilloires thermiques” que représentent certains logements et soumet également aux décideurs une liste de recommandations étayées pour agir contre le problème, qu’elle nomme « précarité énergétique d’été ». Face à l’écho médiatique de ces publications et dans un contexte d’intérêt croissant des acteurs du logement, de l’énergie et du social, l’Observatoire National de la Précarité Energétique (ONPE) de l’ADEME a missionné les cabinets Auxilia, Pluricité et la chercheuse Rachel Guyet pour nourrir le débat : est-il adéquat de parler aujourd’hui de précarité énergétique d’été dans l’Hexagone ? Si oui, comment la définir et l’évaluer ?

En quoi consiste-t-elle ?

Notre mission s’est déroulée sur 7 mois, rythmée par une revue de littérature, des entretiens et des ateliers avec les acteurs mobilisés (chercheur.euse.s, collectivités, Etat, organismes parapublics, énergéticiens, associatifs), un parangonnage des actions déjà menées et des réunions régulières avec le groupe de travail de l’ONPE sur l’excès de chaleur (vous en retrouverez les conclusions sur le site de l’Ademe).

Tout cela nous a permis d’étayer le constat suivant : les populations urbaines précaires (et parmi celles-ci, les femmes), sont particulièrement touché.e.s par l’excès de chaleur. Elles vivent dans un environnement minéral propice à l’effet d’îlot de chaleur urbain, dans des logements de petite taille mal isolés et surexposés à la chaleur, souvent avec un statut de locataire (limitant les possibilités d’intervention), des ressources limitées pour améliorer leur situation, et un cumul de nuisances et de pollutions qui rendent l’aération nocturne difficile voire inenvisageable. Les conséquences sanitaires potentielles sont nombreuses : déshydratation, coups de chaleur et stress thermique, problèmes respiratoires et détérioration de la qualité du sommeil (…), tout autant de conséquences physiologiques et psychologiques affectant plus gravement les publics les plus sensibles (atteints de maladie chronique, enfants, personnes âgées).

Par conséquent, les ménages (pauvres comme riches) se tournent de plus en plus vers la climatisation pour ramener la température de leur logement à des niveaux supportables (450 000 climatiseurs vendus en plus par an entre 2016 et 2020 d’après l’Ademe). Seulement voilà, s’équiper coûte cher, et les ménages précaires, lorsqu’ils n’y renoncent pas à cause du prix, tendent à acheter des équipements portatifs à bas coût, mais peu efficaces énergétiquement, ce qui accroît leurs dépenses. A ce jour, le taux d’équipement des ménages (tous revenus confondus) en climatiseurs reste relativement bas mais croît rapidement. Cela dessine une forme de précarité énergétique en devenir à l’échelle nationale, mais probablement déjà d’actualité dans les parties les plus chaudes de l’Hexagone. A l’avenir, les plus pauvres pourraient ainsi faire souvent face au « choix » entre, d’une part, se climatiser, s’appauvrir, et libérer davantage de chaleur et de gaz à effet de serre (augmentant le besoin de fraicheur) et, d’autre part, y renoncer, et ainsi subir les effets de la climatisation des plus aisé.e.s qu’elles et eux. Pour y remédier, cependant, il ne s’agit plus « seulement » d’intervenir à l’échelle du logement et du bâtiment pour limiter le besoin de climatisation, mais aussi d’agir sur l’environnement extérieur pour réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain.

Comment (re)définir la précarité énergétique ?

 

Pour proposer une définition tenant compte de tous ces enjeux, nous avons construit un cadre des possibles recensant les facteurs de vulnérabilité face aux fortes chaleurs, les services en jeu, et les besoins affectés, tant à l’échelle du logement (en bleu) qu’au-delà (en orange).

Cadre des possibles définis par Auxilia recensant les facteurs de vulnérabilité face aux fortes chaleurs, les services en jeu et les besoins affectés

Cadre des possibles pour définir la précarité énergétique d’été

Notre commande étant centrée sur les enjeux rencontrés par les ménages, nous avons priorisé les facteurs gravitant autour du logement et de la sphère individuelle (en bleu). Cependant, ce recensement laisse ouverte la possibilité d’une acception plus large. Restait à voir si la définition actuellement en vigueur de la précarité énergétique permettait de prendre en compte les enjeux retenus.

Définition de la précarité énergétique issue de la loi du 10 juillet 2010 dite « loi Grenelle 2 » : « Est en situation de précarité énergétique […] une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat des logements. »

 

Si la définition en vigueur a permis d’ouvrir le débat et de structurer l’action publique sur le problème alors émergent de la précarité énergétique, les travaux cités plus haut ainsi que nos entretiens et ateliers ont souligné plusieurs limites.

D’une part, elle fait de l’accès insuffisant à l’énergie (la difficulté à payer ses factures de gaz, d’électricité et son carburant) le problème à résoudre, mettant l’accent sur le besoin d’aider les ménages à payer leurs factures et de prévenir les coupures d’énergie. Ce faisant, elle met au second plan l’enjeu de limiter les besoins énergétiques (par la rénovation, la végétalisation, etc.), qui est pourtant central pour prévenir la généralisation d’une précarité énergétique d’été.

D’autre part, elle se concentre sur les problématiques propres au logement et omet les facteurs extérieurs comme l’espace environnant, pourtant crucial notamment pour lutter contre l’effet d’îlot de chaleur urbain, ou encore les infrastructures et les services, nécessaires pour traiter de précarité énergétique mobilité.

Pour répondre à ces limites, nous avons soumis à l’ONPE trois définitions de la précarité énergétique de manière à inclure toutes ses formes, notamment son versant estival. Une version reformulée de la troisième figure ci-dessous.

Scénario de définition, reformulée, avec l’ajout de déterminants liés à la mobilité

  1. « C’est la situation d’un ménage (déjà) en situation de précarité qui doit accroître ses dépenses énergétiques pour pouvoir répondre à ses besoins essentiels ou bien renoncer à les satisfaire, à défaut d’une alternative plus économe en énergie, ce qui l’amène à se précariser davantage.
  2. Cela résulte de la qualité thermique de son logement, de la performance énergétique de ses équipements, des caractéristiques de son environnement, de ses ressources, du prix de l’énergie et du carburant [, et de l’offre en infrastructures et en services (liste non-exhaustive)]. »

 

Une definition pour apprehenderglobalement la vulnerabilite

Cette définition permet de faire le lien entre les différentes formes de précarité auxquelles les ménages peuvent être exposés en raison de la dépendance structurelle de nos territoires à une énergie abondante et abordable. D’une part, les ménages ayant préféré aux grandes villes la promesse de l’espace et du calme d’un logement individuel se retrouvent souvent à dépendre fortement de la voiture et à supporter les coûts associés. D’autre part, ceux qui ont opté pour la proximité aux aménités urbaines vivent dans des logements plus petits, difficiles à refroidir l’été, dans un parc parfois vétuste où la rénovation est souvent complexe, et dans un environnement surchauffé cumulant d’autres nuisances. La définition que nous proposons souligne à quel point notre dépendance à l’énergie induit des contreparties qui sont toujours plus sévères pour les ménages aux ressources limitées, jusqu’à être insupportables. Ainsi, elle interroge non plus la seule politique du logement, mais aussi les choix politiques à l’égard de l’aménagement du territoire et du déploiement des services publics. Elle met en lumière les enjeux de transition juste qui les relient et qui sont au cœur de notre engagement à Auxilia. Cette définition pousse à élaborer les politiques territoriales au travers des lunettes croisées des différentes formes de vulnérabilité, et à mobiliser utilement mais avec prudence les indicateurs qui tentent de les refléter.

Article écrit avec la contribution de Nicolas Bataille, Chef de projets et docteur en sciences sociales chez Auxilia

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