L'édito décembre 2022

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Confier des mandats plus importants aux habitant.e.s

Votre interlocutriceMargot RAT-PATRON

Margot RAT-PATRON

Cheffe de projets Energie & climat
Votre interlocutriceAnastasia TYMEN

Anastasia TYMEN

Responsable de l'expertise Urbanisme

On les appelle “mini-publics” ou “panels”. Ces démarches participatives émergentes ont une double particularité : reposer au moins en partie sur le tirage au sort et sur des rencontres régulières qui s’étalent dans le temps. Elles viennent compléter des formes de participation citoyenne plus classiques de type réunions publiques ou ateliers sans préparation préalable, qui sont souvent ponctuelles, de courte durée et, selon des modalités d’animation, ne permettent pas toujours une prise de parole représentative de la diversité des habitant.e.s. Elles participent aussi à la diversification des formats d’association des habitant.e.s à l’aménagement de la ville dans lesquels on compte par exemple les nouveaux espaces de projet, les sites internet de dialogue citoyen, les budgets participatifs ou les marches exploratoires.

Plus spécifiquement, ces nouvelles démarches se distinguent à trois égards.

  • Premièrement, en reposant sur le tirage au sort, la forme de sélection des participants permet d’éviter l’écueil classique à savoir retrouver toujours les mêmes profils d’habitant.e.s aux débats publics. Le tirage au sort demande un travail de recrutement important mais son intérêt pour représenter une plus large diversité d’habitant.e.s parait indéniable.
  • Deuxièmement, par leur caractère particulièrement stratégique. Dans ces nouvelles démarches, les sujets soumis à la concertation publique ont vocation à structurer le projet urbain concerné. Un appel d’offres récent porté par une collectivité périphérique métropolitaine vise par exemple à associer les habitant.e.s à la définition de l’aménagement du dernier quartier mutable de la ville. La volonté est affichée de réfléchir à la manière dont ré-hausser le niveau de densité initialement prévu aux documents d’urbanisme et de définir collectivement ce qui pourrait être mutualisé. À ce titre, plusieurs semaines de formations et de rencontres avec des experts sont nécessaires pour accompagner le futur jury. Jusqu’alors, la question de la densité était souvent perçue comme trop explosive et complexe pour être soumise à l’avis des habitants. Dans le projet en question, les formations amont et les temps longs de délibération accompagnés d’outils de représentation des formes urbaines peuvent permettre de faire tomber des stéréotypes sur la densité et que le débat soit plus apaisé.
  • Enfin, ces dispositifs se démarquent par la visée d’impact réel de la participation et de la délibération des habitant.e.s sur le projet urbain. Dans un autre appel d’offre récemment publié, un aménageur métropolitain souhaite co-construire avec un jury d’habitant.e.s le cahier des charges d’un projet urbain à venir, mais aussi co-décider du choix du lauréat pour sa construction. Un changement notable sur le type de mandats que les collectivités s’autorisent à confier à leurs habitants. Dans ce cas à nouveau, la participation est impossible à imaginer sans que le jury ait été formé aux notions de base de l’urbanisme pour pouvoir émettre un avis critique sur les propositions. Un temps préparatoire de formation et des temps longs d’échanges doivent donc être prévus.

Aussi ambitieux qu’ils soient, ces nouveaux mandats ne sont pas sans défi. Censés rendre des avis sur des objets d’intérêt général, certains pourraient se demander quelle est la légitimité de ces jurys citoyens qui restent limités par le nombre de participants mobilisés. Peut-être serait-il intéressant de définir si le jury doit avoir un rôle de médiation de son action auprès du reste des habitant.e.s. Un autre défi concerne l’implication du jury : en demandant à des citoyens de se mobiliser régulièrement pendant plusieurs mois, ces démarches requièrent du temps et de l’assiduité ; en retour, se pose la question de la juste indemnisation des participants.

UNE DYNAMIQUE ALIMENTéePAR l’exigence de sobriété

Alors qu’est-ce qui a été moteur dans l’émergence de ces néo-consultations citoyennes au service de projets urbains ? Plusieurs hypothèses conjuguées peuvent être avancées.

Face à des projets extrêmement complexes par la multiplicité des enjeux qu’ils soulèvent et pour répondre à ces enjeux avec l’exigence de sobriété qui s’impose, la mobilisation de l’habitant devient absolument cruciale. Cela a été dit depuis des années mais quels que soient la qualité de conception et le niveau d’efficience énergétique d’un bâtiment, si les modes de vie ne suivent pas, un projet passera à côté de ses objectifs. La nécessaire sobriété (foncière, énergétique et de ressources globales) et les enjeux de qualité de l’habitabilité soulevés pendant la récente crise sanitaire remettent conjointement les citoyens au centre du débat : quelle ville veulent-ils, comment veulent-ils y vivre ensemble ? Dans les nouvelles consultations, les citoyens sont désormais appelés à donner leur avis sur les éléments très matériels relatifs à ces questions : le type de constructibilité, les hauteurs, la répartition habitat – activités. On ne les interroge plus seulement sur les services, mais aussi sur l’ossature du projet urbain et son programme.

Mobiliser les habitants sur ces enjeux nécessite de les accompagner dans la projection et la matérialisation des idées échangées : donner à voir les opportunités de nouvelles densités, mixités et mutualisations. Dans un appel d’offres pour créer un jury citoyen pour un projet urbain, Auxilia a proposé de collaborer avec des designers sur les outils de dialogue au long cours entre le jury – composés d’une trentaine d’habitant.e.s, « profanes » sur les sujets d’aménagement mais fort.e.s de leur maîtrise d’usages, les décideurs publics et les professionnels ayant produits les études sur le projet. Beaucoup reste encore à imaginer en termes de médiation urbaine pour permettre d’accompagner ce nouveau dialogue exigeant et passionnant.

Le recul acquis après des centaines de démarches participatives en France a montré qu’un certain nombre d’entre elles n’a malheureusement pas atteint ses ambitions, voire a été contre-productive en créant de la frustration chez les acteurs engagés. Ces expériences ont au moins permis aux collectivités et aux médiateurs de se ré-interroger à la fois sur les objets de concertation à soumettre à la consultation, mais aussi sur la forme même du débat.

Une tribune d’Anastasia Tymen, directrice de l’expertise Urbanisme. Propos recueillis par Lou Marzloff.

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