Ce numéro de mars de « Réveiller nos futurs », la newsletter d’Auxilia nous partage l’approche innovante des transitions écologiques par les modes de vie proposée par Nicolas Bataille, docteur en sciences sociales et chef de projets chez Auxilia.
3 fois par an, Auxilia réunit ses équipes lors de laboparties thématiques et inspirantes. Nicolas Bataille, docteur en sciences sociales (urbanisme/sociologie) nous a partagé son approche du changement social élargie aux publics et non à l’individu, permettant d’intégrer la diversité des publics du territoire. Parce que l’individu ne peut être le seul levier de bifurcation et que la confiance réciproque institutions / habitant-es doit être restaurée, l’approche par les publics et par leurs modes de vie permet d’être plus inclusif et d’activer l’action collective.
L’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés et qui nous impose une nécessité de changement nous révèle une crise à 3 dimensions. Ecologique d’abord avec un dérèglement climatique irréversible, la mise en danger de la biodiversité, la baisse de la ressource en eau… Sociale ensuite révélant des inégalités sans précédent, de nouveaux phénomènes migratoires, le vieillissement des populations occidentales, l’isolement, le recul du service public, les travailleurs pauvres… Et enfin, politique, symptôme de la défiance des citoyens envers les institutions, la polarisation des opinions, la montée de l’individualisation, la perte de pouvoirs des corps intermédiaires…
Ensuite, nous observons des changements sociaux profonds à considérer, comme le déséquilibre de la démographie mondiale, de nouvelles formes d’expression civique et d’engagement politique, des modes d’habiter qui se diversifient, l’impact de la numérisation sur les liens ou le travail ou le rapport au travail même, plus flexible, plus isolé, en quête de sens.
Et enfin, les approches techniques ou trop individualisantes à l’œuvre ces dernières années trouvent leurs limites, elles peuvent même être contre-productives et générer de la défiance et exclure une part de la population du changement social visé.
Aussi, nous sommes convaincus que la prise de conscience individuelle doit être resituée dans un contexte sociétal global.
Pour opérer des changements profonds à toutes les échelles, il convient de modifier les manières d’agir, les choix de vie individuels mais aussi et surtout les choix de vie collectifs ainsi que les infrastructures et institutions qui les sous-tendent.
Commençons par définir les modes de vie comme l’ensemble des manières de vivre au quotidien (ou pratiques sociales) pensé à l’échelle d’un groupe ou d’une population, comme manger, consommer, se déplacer, se loger, se divertir, etc. Ils sont communs à des groupes au sein d’une société donnée. On parle par exemple du mode de vie urbain, périurbain, nomade, sédentaire, étudiant, etc.
Les modes de vie permettent de réfléchir au territoire et à sa sociologie de manière systémique. Les pratiques étant reliées entre elles, un mode de vie est bien plus qu’une somme de pratiques : “faire ses courses implique de se déplacer via un mode (à pied, à vélo, en voiture, etc.) et ce que l’on achète (pratiques d’achat) génère des déchets (plus ou moins selon ses choix, offre de vrac, etc.) qu’il faudra ensuite gérer (tri, compost, etc.)” (d’après Millénaire 3). Ces imbrications sont facteurs d’inertie mais elles peuvent aussi être un levier de changement.
Les modes de vie peuvent être lus au travers de 4 catégories d’analyse, associées à des modes d’actions, de manière systémique :
- L’organisation sociale, en agissant sur la réglementation, les horaires de travail, les mesures économiques étatiques par exemple ;
- L’environnement culturel et social : actions sur les valeurs et l’imaginaire, identité locale, désirabilité de certains comportements ;
- L’environnement physique, et les actions portant sur les infrastructures de transport (voies douces, ferroviaires, etc.), le stationnement, les espaces verts, etc. ;
- L’individu, avec comme registres d’actions la sensibilisation, la communication ou les nudges.
Ils sont trop souvent pensés indépendamment en misant trop sur le 4ème point : l’individu.
A l’aune de ces analyses sociologiques, 2 leviers centraux se dégagent pour accompagner le changement non seulement individuel, mais surtout accompagner le changement social ; la confiance (en citoyens et groupes sociaux mais aussi la confiance bilatérale citoyen / institutions) d’une part indispensable pour refonder les contrats sociaux à même de répondre aux urgences ; le vivre-ensemble d’autre part, clé majeure de la diffusion et la socialisation des pratiques au sein et entre les groupes sociaux.
Les équipes du Lab d’Auxilia sont à l’écoute des changements et tendances de nos écosystèmes pour comprendre et accompagner les territoires client de l’association. La dimension sociologique dans nos missions de conseil et nos réflexions de terrain nous ont permis de structurer des partis-pris méthodologiques que nous expérimentons.
- Impulser un travail sur les organisations, les institutions et les infrastructures et non sur l’individu, donc par la renégociation de nouvelles coopérations, de nouveaux modes de faire, de nouveaux métiers, de nouveaux indicateurs, etc. ;
- Appréhender la diversité des modes de vie et non de l’individu « moyen » permettant d’intégrer inclusion, altérité, justice sociale, etc. ;
- Réfléchir globalement et transversalement aux silos des politiques publiques et des collectivités via une entrée systémique par fonction de vie (se déplacer, travailler, se rencontrer, etc.) plus favorable à la construction du dialogue social ;
- Considérer les changements structurels et sociétaux en cours pour s’y adapter, vecteur de résilience.
Concrètement et en 4 points, nous accompagnons les décideurs et professionnels pour « chausser de nouvelles lunettes », pour porter un autre regard sur leur territoire via un éclairage différent des modes de vie des habitant.es. Puis, nous menons des enquêtes sociologiques qualitatives et/ou participatives pour montrer les conditions sociales du changement, visibiliser les modes de vie différents pour dépasser notre préconçu d’un individu « moyen ». Il s’agit alors de comprendre la marge de manœuvre et l’influence de la collectivité sur les différents modes de vie.
Puis vient le moment de la confrontation de nos analyses et nos réflexions auprès des agents et acteurs publics et des habitant.es du territoire, par la rencontre entre différents acteurs. Cela agit comme un révélateur entre théorie et pratique : mieux comprendre la réalité quotidienne des agents, découvrir l’altérité et dépasser les préconçus pour dégager les freins et leviers collectifs. Nous constatons à cette étape l’amélioration de la mobilisation des acteurs et habitant.es et l’ouverture à la construction collective de solutions.
Et enfin, la vision transversale des modes de vie peut amener à créer de nouvelles coopérations, avec des acteurs intermédiaires par exemple, qu’il convient d’organiser et/ou de réinventer.
Actuellement, nous menons une exploration dans l’objectif d’opérationnaliser cette approche par les modes de vie, pour dépasser l’approche théorique et imaginer des outils et des méthodes à l’échelle locale des collectivités, les expérimenter, mesurer les effets et capitaliser.
Propos recueillis par Violaine Yvon.
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