Véronique Meunier, consultante Economie Circulaire au sein d’Auxilia, a réalisé cette année un mémoire sur l’écologie industrielle et territoriale, fondé sur une démarche mise en œuvre dans le quartier nantais du Bas-Chantenay. Retour sur son travail.
Ecologie industrielle et territoriale (eit)Quesako ?
L’écologie industrielle et territoriale vient de la fusion de deux thématiques : l’écologie industrielle d’une part et l’écologie territoriale de l’autre. Notons qu’en anglais on ne parle que d’industrial ecology, l’aspect territorial n’apparaît pas. Le concept d’écologie industrielle fait appel aux entreprises industrielles sur un territoire sans rentrer dans des considérations territoriales. Il apparaît dans les années 1970 mais a été formalisé en 1989 dans un article resté célèbre, écrit par Robert Frosch et Nicholas Gallopoulos, deux responsables de la recherche dans l’entreprise General Motors, ce qui aura des conséquences sur l’évolution du concept. L’écologie territoriale, de son côté, fait plus appel aux relations entre les humains et la biosphère. Elle apparaît plus tard, dans les années 2000. Aujourd’hui on parle donc d’écologie industrielle et territoriale, ce qui est un peu un oxymore et peut rendre difficile l’appropriation du concept. Peut-être faudrait-il privilégier le terme d’économie circulaire territoriale…
La définition la plus simple et la plus accessible est à mon sens celle du Ministère de la transition écologique :
l’EIT constitue « une mise en commun volontaire de ressources par les acteurs économiques du territoire, en vue de les économiser ou d’en améliorer la productivité ».
Le cadre de travail est donc ici celui de la raréfaction des ressources. L’accent, pour l’écosystème productif, est mis sur la manière de changer la façon de produire et de consommer. On peut finalement voir l’EIT comme une petite économie circulaire sur un territoire localisé. C’est d’ailleurs l’un des 7 piliers de l’économie circulaire, si on reprend le schéma de l’Ademe.
Où en sommes-nous actuellement en France ?
On voit un engouement pour ce type de démarches depuis une vingtaine d’années. Le réseau Synapse en a identifié un peu plus de 300 à ce jour en France, mais ce n’est pas exhaustif. Aujourd’hui encore, l’enjeu principal est leur pérennisation. D’après l’état des lieux réalisé en 2020 par l’ADEME, seulement 16 % des démarches d’écologie industrielle et territoriale sont « matures », sous-entendu « pérennes ». Auxilia avait d’ailleurs identifié cet enjeu dès 2018 dans une étude nommée « Pérennité des démarches d’EIT en France ».
L’intérêt des démarches d’EIT pour les uns et les autres est assez clair : cela contribue au marketing territorial, améliore la gestion des déchets, génère des économiques en matière de consommation d’énergie, crée des emplois, etc. A ce titre, l’entrée pour les entreprises se fait souvent par la question des déchets, notamment en regard des législations entrées en vigueur ces dernières années, comme la loi AGEC. Plus récemment les enjeux énergétiques sont devenus des leviers importants et une nouvelle porte d’entrée.
Quelle mise en oeuvre pour une démarche EIT ?
Au départ, les acteurs avaient une approche très technique de l’écologie industrielle et territoriale, dans le sens où l’accent était mis sur l’exhaustivité des calculs sur les flux, ce qui est très chronophage et coûteux… et qui générait un décalage entre la phase de récolte des données et celle du début de la mise en œuvre opérationnelle, synonyme, bien souvent, de perte de dynamique. Aujourd’hui, on est davantage dans une approche itérative et intuitive. Ces sont les actions et les liens qui les guident, en prenant pour point de départ les besoins des entreprises.
On distingue généralement les démarches spontanées des démarches planifiées par les collectivités qui vont devoir informer, sensibiliser et mobiliser les entreprises. Pour ce faire, il faut déjà comprendre de quoi il s’agit, à quoi ça sert, quel est l’intérêt de l’EIT, etc. Avant de se lancer, il y a tout ce travail à mener en interne au sein des collectivités pour aller prêcher la bonne parole auprès des acteurs économiques.
Dans l’étape suivante, le mot-clé est coopération. On évoque souvent deux modalités de mise en œuvre :
- La substitution : transformer les déchets des uns en ressources des autres (récupération de chaleur par exemple) ;
- La mutualisation : achats groupés, partage de véhicules, mutualisation services, formation…
Techniques ou organisationnels ? Quels sont les enjeux des démarches EIT ?
Elles relèvent moins d’enjeux techniques qu’organisationnels. L’EIT fait appel à de nombreux travaux en sociologie, en sociologie des organisations, en action collective, etc. Dans sa mise en œuvre, ce qui compte c’est moins ce qui est présent sur le territoire en termes de ressources que le portage politique ou le volontarisme des acteurs.
On parle à cet égard de « capital organisationnel des territoires », c’est-à-dire l’ensemble des interactions qui existent entre les organisations d’un même territoire. En littérature, on trouve deux théories :
- La première dit que si les acteurs se connaissent et que des choses se sont mal passées, cela va compliquer la mise en place d’une démarche d’écologie industrielle et territoriale. Il vaut mieux donc arriver vierge de toute interaction ;
- La seconde estime que, quoi qu’il arrive, c’est mieux si les acteurs se connaissent.
Ce qui est certain, c’est que tout cela est très contextuel. Plus il y a d’échanges, plus ils sont longs, plus les acteurs auront l’occasion de construire des relations de confiance, plus les synergies auront de chances de voir le jour.
Cela vient notamment du fait de la diversité des acteurs que les démarches d’EIT mettent en jeu. Les acteurs industriels sont évidemment centraux, au regard de leur importante consommation de ressources et de leur production volumineuse de déchets, mais le secteur tertiaire y a aussi toute sa place, au même titre que les acteurs de la politique locale et les citoyen-nes.
Quartier du Bas-Chantenay à Nantes Zoom sur une démarche locale
Véronique Meunier et Auxilia travaillent en effet depuis un an à la mise en place d’une démarche EIT dans le quartier nantais du Bas-Chantenay.
Une démarche d’écologie industrielle territoriale prend cinq à dix ans pour se construire…
La méthodologie proposée par Auxilia pour le Bas-Chantenay se fonde concrètement sur des ateliers inter-entreprises dans lesquels on évite les discussions interminables pour passer assez vite sur du concret. Une vingtaine d’entreprises viennent régulièrement, s’intéressent au sujet et sont volontaires.
Aujourd’hui de nombreux éléments positifs sont réunis : sentiment d’appartenance, portage politique, activité économique dynamique, quelques entreprises leaders… Les enjeux désormais sont de faire en sorte qu’un ou deux acteurs s’approprie davantage la dynamique pour entraîner les autres et d’initier une gouvernance partagée. Le rôle d’Auxilia est de créer et d’entretenir sur le long terme cette volonté de travailler ensemble, ce qui passe par la réalisation rapide d’actions concrètes. Mais attention à l’approche servicielle de l’EIT qui n’est pas son ADN mais bien de mettre en œuvre la transition et la sobriété.
Propos recueillis par Bastien Marchand, consultant – Doctorant en redirection écologique.
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