Ce nouveau numéro d’octobre de « Réveiller nos futurs », la newsletter d’Auxilia zoome sur les stratégies locales de Biodiversité (SLB), souvent issues des Stratégies Régionales de Biodiversité (SRB). Même si les SLB peuvent prendre des formes diverses, l’objectif demeure le même : questionner la place du vivant à l’échelle locale. Yohan GAILLARD, chef de projet Eau & biodiversité chez Auxilia décrypte cet engagement encore précurseur à travers deux études en cours, pour Cap Atlantique La Baule-Guérande Agglo en Pays de la Loire et la Communauté de Communes du Haut Limousin en Marche en Nouvelle Aquitaine.
Biodiversité, paysages, nature, peux-tu nous dire qu’elle est L’approche d’Auxilia ?
II règne une grande confusion entre les termes de nature et paysage. Le terme « paysage » se réfère au cadre de vie, il s’agit d’une commodité pour l’homme corrélé à une notion d’esthétique, tandis que la biodiversité concerne le vivant non-humain et questionne la cohabitation entre l’homme et la nature pour que cette dernière puisse survivre avec ou sans nous, sans notion d’esthétique. A titre d’exemple, dans une Stratégie Locale de Biodiversité, on s’autorisera à rendre inaccessible une rivière afin de protéger la biodiversité sur une période donnée, alors que une stratégie paysagère questionnera davantage l’aménagement autour de la rivière pour la rendre agréable à contempler, au risque de perturber la biodiversité.
Nous travaillons sur les mêmes composantes (arbres, prairies, rivières…) mais avec des objectifs différents.
Les SLB sont-elles indispensables et complémentaires aux autres documents de planification ?
Si les Stratégies Régionales de Biodiversité (SRB) sont obligatoires depuis 2016 et effectives dans l’ensemble des régions françaises, les SLB quant à elles relèvent de démarches volontaires. Toutes deux sont articulées en trois parties : état des lieux, stratégie et plan d’action.
La SLB est un outil simple et facile à décliner localement. Comme il n’y a pas (encore) de référentiel, une collectivité peut s’en saisir avec beaucoup de liberté. Par exemple, certaines collectivités l’utilisent pour structurer et renforcer les dynamiques d’acteurs locaux. D’autres vont l’axer sur la dimension culturelle voire philosophique du rapport au vivant non humain. Enfin, certaines vont chercher, via cette SLB, à mettre en place des logiques économiques (PSE). Et souvent ces approches se combinent et peuvent être à l’origine de co-bénéfices tels qu’une meilleure prise en compte de la biodiversité dans les documents d’urbanisme : des projets urbains qui font plus de place à la nature, mieux conçus et mieux acceptés, intégrant un volet prévention des risques climatiques (inondation, ICU, etc.).
Un service spécifique et dédié « Biodiversité » est-il nécessaire, à la manière des PCAET ?
Il existe rarement un service dédié à la biodiversité et cela ne pose aucun problème, au contraire : la biodiversité englobe de manière systématique l’économie, la culture, le climat, l’aménagement, l’agriculture, l’éducation ou encore la transition énergétique et l’environnement au sens large. Dans le pilotage d’une SLB, nous portons une attention particulière à l’élargissement des compétences représentées pour ne pas réserver la biodiversité aux seuls experts : OBF, Région et Agence de l’eau en tant que financeurs, organismes de biodiversité locale (Conservatoires des espaces natures, Conservatoire du Littoral, associations environnementales, collectivités, fédérations de chasse et de pêche…). Nous visons une grande diversité et intégrons les habitant.es, les agriculteur.rices, les acteur.rices socio-culturels, les acteur.rices économiques… Tous sont acteurs de la préservation la biodiversité locale.
On constate sur Cap Atlantique La Baule-Guérande Agglo, que les sites cumulant le plus de protection réglementaire ou foncière ne sont pas nécessairement ceux qui présentent de bons résultats en matière de lutte contre l’érosion de la biodiversité. Au-delà des systèmes de protection, il convient d’adapter la gestion au plus proche des enjeux des milieux et adopter des actions de respect de la loi, maillon faible dans la chaîne de protection.
Mais le principal reproche que l’on peut faire aujourd’hui à ces espaces protégés est qu’ils sont envisagés de façon parcellaire (urbains agricoles, forestiers ou encore aquatiques et littoraux), conformément à une approche européenne alors même qu’ils forment un continuum. La biodiversité est présente dans tous les espaces.
Si vous deviez représenter symboliquement une rivière, serait-elle un fil dentaire ou un plat de nouilles ?
Nous les représentons souvent de manière linéaire, à l’aide d’un trait bleu sur une carte or la rivière est un écosystème complexe et mouvant, intégrant les milieux connectés : zones humides, praires, ripisylves… Nous avons simplifié à l’extrême nos milieux et le phénomène d’amnésie environnementale auquel nous sommes tous confrontés, nous donne le sentiment qu’il s’agit de milieux que l’on qualifie facilement de naturels alors qu’ils sont pour la plupart complétement anthropisés. Le meilleur exemple est qu’aujourd’hui vous n’avez plus d’insectes qui s’écrasent sur un pare-brise. Pour une personne de 20 ans, cela semble normal, mais pour quelqu’un de 60 ans, cela ne l’est pas. Cela montre à quel point notre perception de la normalité environnementale a changé, souvent sans que nous en prenions pleinement conscience.
Se lancer dans une Stratégie Locale de Biodiversité, c’est relever un défi formidablement excitant : inviter les acteurs d’un territoire à repenser complètement leur rapport au vivant pour trouver des façons nouvelles de vivre avec et pas contre.
Le déficit de connaissance en matière de biodiversité locale est-il un problème lors de l’élaboration d’une SLB ?
Nombreux sont les inventaires menés en France sur les espèces et milieux afin d’augmenter notre connaissance de la biodiversité. Si cela s’avère utile pour comprendre nos milieux et les interactions écologiques, il n’est pas nécessaire d’attendre une exhaustivité des connaissances pour agir. Il y a tant à faire ! D’autant que nous risquons d’attendre longtemps, avec le dérèglement climatique qui bouleverse à la fois la biodiversité, mais aussi nos modes de gestion des milieux.
Néanmoins, il convient de combler certaines lacunes que l’on observe dans les territoires : une connaissance préférentiellement menée sur les milieux dits remarquables, faisant l’objet de protection au détriment de milieux ordinaires comme les milieux naturels ou agricoles. Nous pourrions également mettre en avant le nécessaire partage et diffusion de la donnée à l’échelle locale.
Quelle serait ton approche pour pallier à ces limites ?
En définissant une SLB, nous nous efforçons de faire un pas de côté, de faire en sorte que l’humain ne soit pas au cœur de l’action. Il s’agit d’une stratégie au service du vivant. En ce sens, il s’agit d’une approche nouvelle puisque nous veillons à ne pas faire de la biodiversité une ressource à notre service mais une composante indispensable qui participe à faire vivre nos territoires.
Pour être concret et tendre vers une démarche aboutie, ne devrions-nous pas intégrer la biodiversité dans nos modes de décision ? Comme nous, ils sont acteurs de nos territoires et, à ce titre, intégrer des représentants de la nature dans instances de décisions parait légitime ? Cette réflexion est en cours dans les démarches que nous accompagnons. Par exemple, Herald le hérisson est une incarnation du vivant dans le PCAET de la CU de Grand Poitiers. Il interroge la notion de représentation du vivant. Pour aller plus loin, ne pourrions-nous pas rêver qu’à l’échelle nationale, le CESE intègre également des représentants des vivants non-humains ?
C’est une vaste question ! Qui peut représenter le vivant dans les instances de gouvernance et comment ? Nous avons porté cette réflexion pour intégrer la nature dans les instances décisionnelle au sein de notre association Auxilia. Est-ce un.e ou des salarié.es ? Comment s’assurer qu’il n’y ait pas de biais humain ? Est-ce une IA ? Sans que nous ayons encore arrêté une décision, le résultat de l’IA s’avère bluffant même si l’approche demeure critiquable. Cela pose d’autres limites sur l’utilisation de l’IA qui n’est pas neutre. Aux Assises de la biodiversité, ce projet de démocratie ouverte a été discuté, générant une gêne évidente sur le fait qu’un outil technologique puisse représenter le vivant. Car même s’il est dépourvu du biais anthropologique, il possède d’autres biais. Mais il s’agit là d’un autre débat !
Newsletter conçue par Margot Rat-Patron, consultante et toute l’équipe. Bravo Margot 🙂
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